JournalB.M. : Journal → 8/05/2006
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Entre Avignon et Apt,
le lundi 8 mai

La famille.

Les enfants jouent dans le grand jardin, chahutent et reviennent nous chercher parfois. Je fais voltiger ma petite cousine J en la tenant par les bras, puis les autres enfants. L est déjà en sixième, elle me semble un peu gênée ou intimidée face aux adultes, j’ai l’impression qu’elle ne sait pas toujours comment faire. Cependant elle me regardait en riant un peu, elle me dit qu’elle trouvait que j’avais quelque chose d’amusant, amusant c’est-à-dire rien de précis juste une manière d’être. Cela m’amusait aussi.

J’aime ce genre de réunion de familles. Entre vingt et quarante personnes selon les jours et les repas, et beaucoup de douceur dans ce jardin où le temps passe loin de tout. Mon oncle avait prévu : du tajine de mouton, des soupes au pistou, des salades d’orange à la cannelle, diverses terrines sans oublier ce fameux jambon à découper à la demande, les vins, les fromages. Mon oncle venait de rentrer du Maroc avec la plupart de ces ingrédients, un voyage dont je comprend qu’il a pu retrouver les lieux de son enfance, des souvenirs très forts pour tous mes oncles et mes grand-parents. Mais quelle difficulté, quelle abysse irrésistible, en faisant un petit discours pour dire un peu pourquoi il avait voulu cette réunion (sa retraite, et tout simplement le plaisir et la nécessité), disant qu’il regrettait une absence : papa ; ils étaient là, tous ses frères, mes oncles, mais moi j’étais seul à me débattre.

Ça passe. Ça reviendra toujours mais ça passe toujours aussi. Je regarde mes petites cousines jouer, je trinque avec mon frère, mes oncles, mes cousins, mes cousines, mes grand-parents. À table mon grand-père raconte une de ses histoires vécues, un peu cabot mais de manière très drôle. Drôle de tablée, rassemblant les plus vieux les plus jeunes.

Les longs repas, les soirées qui s’étirent, sur l’herbe dans les discussions qui vont dans la continuité du déjeuner et la torpeur accentuée par l’atmosphère un peu lourde, chaude, et le vin... Ici je suis protégé. Je sais déjà qu’au retour à nouveau je n’aurai plus aucun refuge.

J’étais frappé par l’absence des cigales.

Dans la gare d’Avignon je vois les TGV qui passent sans s’arrêter, éclairs d’une masse monstrueuse en marche, puissants, furie déchaînée je pense là à leur sorte d’état en attente qu’ils semblent présenter lorqu’ils se trouvent aux quais des gares, calmes silencieux pourtant déjà tendus vers la marche avant comme par une idée morbide, plus vite, plus vite, plus vite, un rêve qui agiterait secrètement le sommeil de ces fureurs.

L’un d’eux s’arrête docilement pour me ramener à Paris.

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