le lundi 27 mars
Cela fait quelques années que je cherche sans le trouver le nom d’un morceau dont je n’ai jamais entendu qu’une partie, à chaque fois que je l’ai entendu personne n’a jamais su me dire qui avait fait ça. Fin de la quête : c’était Van Halen : Ain’t talkin ’bout love ; tout ça pour ça - je souris un peu quand même - tout ça simplement à cause du plan guitare à l’intro du morceau.
Je viens de passer une semaine à Bordeaux pour le travail. Le reste du temps ça a été une ville de souvenirs dans ce que les souvenirs ont de passés et de quelque peu nostalgiques, une certaine douceur, quelques copains dans les bars, la nuit dehors à vélo dans les rues, sur les boulevards, les quais longeant la Garonne. Ça n’est plus ma ville, je commence à ne pas toujours la reconnaître, je l’ai quittée, c’est fini.
J’ai passé la journée d’hier chez A et C avec un couple d’amis et leurs enfants ; un de ces dimanches après-midi sur lequel le repas s’étire avec plaisir et bonhomie. Le ventre de C commence à s’arrondir vraiment, mes amis me semblent heureux, de mon côté je suis très heureux pour eux en même temps que je sens que ce qui se joue là m’est inaccessible, impossible à savoir. Ils disaient comment certains - des copains approchant eux aussi leur trentaine - avaient l’air d’avoir peur de ça, comme s’ils ne voulaient pas le voir, quelque chose de l’ordre du refus ou de la panique d’admettre de vieillir, une manière déplacée d’écourter une soirée par fausse prévenance et de ne voir dans la grossesse que des devoirs et des interdits, à outrance.
À moi il semble que c’est un secret qui fait semblant d’être étalé au vu de tous, et quand bien même ils voudraient tout dire je crois qu’ils ne le pourraient pas. Et puis, j’ai beau avoir vu ma mère enceinte, et mon petit frère tout nouveau né alors que j’allais avoir quatorze ans, et l’avoir vu grandir, ou quand encore tard le soir j’étais le dernier à me coucher et que j’allais voir dans sa chambre que ses six ans endormis respiraient, j’ai beau connaître tout ça : l’enfant, l’attente de l’enfant, je ne peux en avoir qu’une vague intuition, il est dans le secret du couple. J’imagine qu’un jour il y en aura un et que j’en serai le père, bien que vu d’ici c’est un peu prématuré de parler de paternité pour ne pas dire même que ça semble plutôt être de la science-fiction, que lorsqu’il a le dos tourné les voisins et les proches pourraient se dire que le garçon ferait pt’être mieux de trouver une fille et s’installer avec plutôt que de faire des âneries et dire qu’il n’est pas si pressé ; enfin voilà je veux quand même dire, que si c’est pas sûr c’est quand même peut-être, mais surtout que c’est essentiel.
La soirée de dimanche j’essaie de monter une machine pour mon frère. Ensuite je passe une nuit abominable où je ne m’endors pas une fois avant qu’il ne soit six heures du matin ; vers trois heures du matin un tableau se décroche du mur et fais un bruit d’explosion dans le noir, au début j’ai cru à des morceaux de plafond ou d’un mur qui seraient tombés dans une autre pièce ou dans l’immeuble, jusqu’à ce que je voie le tableau manquant au mur. Et mon cœur palpite comme celui d’un moineau tétanisé par la peur, je me souviens tout-à-coup que j’ai peut-être bu trop de café trop tard alors forcément ça n’aide pas, et vient s’ajouter cette angoisse qu’il se passe quelque chose... les sens aux aguets... à écouter et ne pas me calmer aussi facilement... c’est là que j’ai compris que c’était foutu, que la nuit serait longue... J’entendais parfois la pluie venir se signaler à la fenêtre, envahir la nuit avec toutes ses sonorités singulières, la pluie réconfort ultime (ou presque) de ces nuits grand éveillé au fond du lit.